Un duel à la loupe : BONAPARTE contre GROSEY (4)
Nous avions conclu le troisième article de notre série « Un duel à la loupe », en faisant mention, sans plus de précisions, d’un détail sujet à caution permettant, pour le moins, de douter de la réalité historique du duel Bonaparte-Grosey.
Ce détail rapporté par différentes gazettes et périodiques des années 1840 (entre autres : Le Spectateur de Dijon du 13 décembre 1843, L’Écho rochelais du 15 décembre 1843, L’Illustration du 13 janvier 1844, Le Moniteur Universel du 09 janvier 1844, le Nürnberger Kurier du 24 février 1844) et rapporté plus tard par Claude PICHARD et, jusqu’à nos jours, par divers auteurs, en voici la teneur :
« Lorsque Bonaparte fut arrivé au pouvoir Grosey [ndlr ou Grosset selon les versions], lui demanda un emploi. Sa requête contenait ce singulier passage : « Si tu ne me reconnais pas, tu te rappelleras du jeune dôlois qui t’as donné un coup d’épée sur le rempart d’Auxonne ». Bonaparte au lieu de se fâcher fit droit à la requête de Grosey [ndlr ou Grosset selon les versions] et le nomma procureur impérial à Béfort ».
Le hic dans cette affaire est que la réalité de cette prétendue nomination ne résiste pas à l’examen puisque de 1800 à 1813 on retrouve invariablement, dans les documents officiels, le dénommé Grosey en poste de juge à Lons-le-Saunier, au criminel (1800-1811) puis au civil (1812-1813)
En atteste l’excellent ouvrage collectif édité en 1991 par la Société d’émulation du Jura intitulé Dictionnaire biographique des administrateurs du JURA 1790-1800 en page 157 à l’article 286 Grosey Louis Denis Catherin (1750-1817)
Les almanachs impériaux (de 1805 à 1813 disponibles sur BnfGallica) consultés, démentent eux aussi formellement toute nomination de « procureur impérial à Béfort » qui aurait pu concerner ledit Grosey, et placent invariablement celui-ci à Lons-le-Saunier dans la fonction de juge au criminel, puis au civil.
En fait, Grosey avocat en parlement et homme de loi qui remplissait les fonctions d’accusateur public sous le Directoire au chef-lieu de son département, Lons-Le Saunier, fut sans doute « recyclé » en place, au moment du Consulat, comme tant d’autres en France, qui ne s’étaient jamais battus en duel avec Bonaparte…
Et puis, réflexion faite, ce « jeune dôlois » né en 1750 et qui avait donc 19 ans de plus que Bonaparte il n’était pas si jeune que ça autour de 1790, époque du duel supposé !
Il est encore plus difficile d’imaginer, une dizaine d’années plus tard, un magistrat, quinquagénaire ou presque, qui plus est dans la fonction d’accusateur public à Lons-le-Saunier, et visiblement soucieux de sa carrière, interpellant aussi cavalièrement le premier Consul.
L’anecdote est sans doute séduisante mais sa réalité historique semble s’évanouir, comme fumée au vent, à l’examen des archives
Fin de l'histoire
Martine SPERANZA avec la collaboration active de Claude SPERANZA