A LIRE EN PREMIER
J'ai déjà publié sur ce blog un article intitulé
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BONAPARTE A AUXONNE
version numérique du Petit Journal de l'exposition BONAPARTE A AUXONNE
qui a eu lieu en 1988.
Depuis j'ai pu approfondir mes recherches sur le séjour de Bonaparte à Auxonne, notamment sur la véracité des informations transmises par la tradition orale.
Je suis aujourd'hui en mesure de partager le résultat de ces nouvelles recherches :
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BONAPARTE A AUXONNE ... suite 1- Dans le cercle de ses amis
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La création en janvier 1757 d'un nouveau bataillon du Royal-Artillerie implique la formation, quelques mois plus tard, d'une sixième Ecole de l'Artillerie à Auxonne. En 1765 les sept brigades de l’artillerie de terre du Corps-Royal sont converties en un nombre équivalent de régiments portant le nom des villes où ils ont leurs écoles : La Fère, Metz, Besançon, Grenoble, Strasbourg, Auxonne et Toul.
Plan et vue d'Auxonne par Joseph ANTOINE - 1764 - Cazernes détails
EPISODE 1 - 1775
Le Régiment de Grenoble du Corps royal de l’artillerie arrive en garnison à Auxonne le 20 septembre 1769. Dominique Renaud fait partie de l’état-major, il occupe le poste de Trésorier.
Le 15 septembre 1775 son Régiment quitte Auxonne pour aller en garnison à Strasbourg, mais sans lui, car le 18 septembre Dominique Renaud se marie avec Jeanne Lucant. Elle a 22 ans, c'est la fille d’un marchand drapier auxonnais, lui a 39 ans, c'est le fils d’un architecte de Nancy.
Après le mariage, il rejoint son régiment, laissant sa femme à Auxonne.
Madame Renaud restera sans nouvelles de son mari pendant 17 ans.
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EPISODE 2 - 1783
Jean-Marin Naudin (1736-1805) Commissaire des guerres
Il est né en 1736 à Bagneux, banlieue de Paris, fils de vigneron. D’abord conducteur de charrois et garde magasin d’artillerie, puis garde général en Corse en 1770, puis Commissaire des guerres et du Corps royal de l’artillerie toujours en Corse. Il arrive à Auxonne en octobre 1783 avec le titre de Commissaire des guerres (fonction d' intendant militaire) :
Il doit gérer l'intendance de l’Arsenal de construction, de l’Ecole et le Régiment d’artillerie (900 hommes et une centaine d’officiers) et de la Compagnie d’ouvriers ; surveiller le magasin des vivres dont la construction se termine en 1784, l’hôpital militaire, le logement et le passage des troupes, passer la revue des officiers, régler les questions militaires qui concernent à Auxonne l’Intendance de Bourgogne.
Sa fonction lui donne droit à une importante indemnité de logement, il s’installe dans un appartement privé situé Grande rue, dans lequel il a ses bureaux et son personnel, un secrétaire et un ou deux aides.
Il s’est marié en 1782 quand il était à Bastia, avec la fille d’un lieutenant colonel de l’artillerie corse, Virginie Terrot-Lavalette, originaire de Pont-en-Royans dans l’Isère. Elle a 29 ans et Jean-Marin 46 ans
Madame Naudin ne vient pas habiter Auxonne avec son mari. On remarque que l’état de célibataire géographique ne date pas d’aujourdhui.
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EPISODE 3 - 1787
Jean Baptiste Felix de Manscourt (1749-1824)
Jean-Baptiste Félix MANSCOURT (1749-1824) Général
de son nom de Manscourt du Rozoy, c’est le fils d’un avocat au Parlement de Paris, écuyer, trésorier de S.A. le prince de Conty.
Elève artilleur, lieutenant en second au Régiment de La Fère en 1768, lieutenant en premier en 1771, il obtient la commission de capitaine en 1779. Détaché à la manufacture d’armes de Maubeuge en 1783, puis à Douai en 1786, il revient au Régiment de La Fère en 1787. Venant de Fougères il arrive à Auxonne en décembre 1787, avec ce Régiment après 44 jours d’étape, capitaine à la tête d’une Compagnie de sapeurs. En 1788 il commande la Compagnie de bombardiers de Manscourt.
Il est marié depuis 1781 avec Jeanne Marie Bourdelois, fille d’un procureur général en la Cour des monnaies à Paris. Il a 32 ans, elle a 16 ans.
En 1787 le capitaine Manscourt s’installe à Auxonne, avec ou sans sa femme ?
Mais nous savons qu’en 1789 Madame de Manscourt du Rozoy décide d’émigrer … sans son mari.
Carnet de la Sabretache La carrière du général Manscourt Troisième série volume 2 1914-1919 pp.706-709 Portrait
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EPISODE 4 – 1788
Bonaparte arrive à Auxonne dans la première quinzaine de juin 1788, rentrant d’un congé de semestre en Corse. Il est lieutenant en second au Régiment de La Fère, Compagnie de bombardiers de La Goshyère. Il a 19 ans.
La tradition orale transmise par les historiens locaux du 19e siècle et par les premiers biographes de Napoléon nous apprend que Bonaparte était reçu dans différentes maisons d'Auxonne.
La chambre de Bonaparte à Auxonne par François Flameng (1856-1925)
Les protagonistes sont maintenant installés sur le petit théâtre de la vie auxonnaise. A partir de là chacun va organiser sa vie selon sa carrière, ses aspirations et selon le hasard des rencontres
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1789 C’est la Révolution. La situation matérielle, puis politique, civile et militaire, religieuse et morale devient une sorte de chaos qu’on tente d’organiser, dans un climat d’incertitude et d’insécurité.
Calendrier révolutionnaire pour 1793 et 1794 - Musée Bonaparte Auxonne
Parmi les nombreuses lois promulguées par l'Assemblée nationale à cette époque, la loi du 20 septembre 1792 concerne nos protagonistes.
" L’Assemblée nationale considérant combien il importe de faire jouir les Français de la faculté du divorce, qui résulte de la liberté individuelle dont un engagement indissoluble serait la perte ; considérant que déjà plusieurs époux n’ont pas attendu pour jouir des avantages de la disposition constitutionnelle, suivant laquelle le mariage n’est qu’un contrat civil, que la loi eût réglé le mode et les effets du divorce, décrète qu’il y a urgence.
L’Assemblée nationale, après avoir décrété l’urgence, décrète sur les causes, le mode et les effets du divorce, ce qui suit …"
La loi de 1792 permettait la dissolution du mariage par consentement mutuel des deux époux, par simple allégation par l'un d'eux, d'une incompatibilité d'humeur et de caractère et pour sept motifs déterminés : la démence, la folie ou la fureur ; la condamnation d'un des époux à une peine afflictive ou infamante ; les sévices ou les mauvais traitements ; le dérèglement des mœurs ; l'abandon depuis deux ans au moins ; l'absence d'un des époux, sans nouvelles, depuis cinq ans au moins ; et l'émigration.
Le trait frappant de cette loi est l'égalité qu'elle instaure entre les deux sexes : elle donne aux deux époux, de façon identique, le droit d'obtenir le divorce.
Les frais des procédures demandées par la loi de 1792 étaient en outre négligeables.
Les divorces par consentement mutuel et pour incompatibilité d'humeur et de caractère étaient soumis à une "assemblée de famille", en principe une assemblée de parents, voisins ou alis des époux. Les demandes en divorce fondées sur un des motifs déterminés étaient jugées par un "tribunal de famille" dont les arbitres étaient en principe des parents ou amis des deux époux.
Sources : Phillips, Roderick G. Le divorce en France à la fin du 18e siècle. In Annales Economies, Sociétés, Civilisations 34e année N.2 1979 pp.385-398
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EPISODE 1 - suite
Jeanne Lucant, épouse de Dominique Renaud, divorce le 18 juin 1793 à Auxonne, au motif que son mari est absent depuis 17 ans.
Portefeuille brodé offert à Madame Renaud par Bonaparte Musée Bonaparte Auxonne
EPISODE 2 – suite
Jean-Marin Naudin, époux de Virginie Terrot-Lavalette, divorce le 10 novembre 1793, à Besançon où il a été nommé commissaire ordonnateur. Sa femme a refusé d'assister au tribunal de famille
Il revient à Auxonne, car il a été oublié dans la réorganisation du 16 juin 1793, il proteste, chacun vante ses talents et son civisme. Il attendra jusqu’au 25 mars 1794 pour être remis en activité, à Paris, puis en Italie sur la demande de Bonaparte, puis en Corse, puis à Bayonne et de nouveau en Corse.
Le 18 mars 1798, il se marie avec Jeanne Lucant à Auxonne. En 1808 il est toujours en poste à Bastia et demande pour des raisons de santé à revenir à Paris, sollicitant une place de commissaire ordonnateur aux Invalides. Mais il sera nommé à Caen, où il mourra le 4 juillet 1805 à l’âge de 69 ans. Sa femme devenue veuve quittera Caen pour s’installer à Dijon, rue Rameau où elle mourra le 6 novembre 1829 à l’âge de 79 ans.
Les liens d’amitié entre Bonaparte et Naudin, et entre Bonaparte et Mme Renaud nous sont connus par la tradition, mais aussi par deux lettres échangées entre eux :
Lettre du 27 juillet 1791 - A Naudin, de Valence
… Mes respects à Mme Renaud et à M. De Goy, j’ai porté un toast aux patriotes d’Auxonne lors du banquet du 14. Ce régiment-ci est très sûr : les soldats, sergents et la moitié des officiers. Il y a deux places vacantes de capitaine.
Respect et amitié VS Buonaparte
Le sang méridional coule dans mes veines avec la rapidité du Rhône. Pardonnez donc si vous prenez de la peine à lire mon griffonnage…
Lettre de Naudin au Premier Consul (24-12-1800) lors de l’attentat de la machine infernale
Agréez je vous prie mon compliment bien sincère et celui de ma femme pour la conservation de vos jours dans les derniers dangers qu’ils viennent de courir et qui ont mis aussi la République près de sa perte ; nous en rendons de bien bon cœur nos actions de grâce au ciel.
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EPISODE 3 - suite
Jean-Baptiste Felix Manscourt, époux de Jeanne Marie Bourdelois, divorce à Auxonne le 22 décembre 1793 au motif avéré de l’émigration de l’épouse.
Jean-Baptiste Manscourt aura une vie bien mouvementée. Après avoir commandé l’artillerie de Philippeville, de Sarrelouis, il est promu chef de bataillon, puis général de brigade le 5 août 1793. Puis il est suspendu, mais parvient à se faire réintégrer.
C’est alors qu’il se marie, le 25 décembre 1793 avec Pierrette Chavant, fille d’un huilier d’Auxonne. Le 10 novembre 1794 un autre acte du registre d’état-civil nous renseigne sur les conditions un peu rocambolesques de la vie privée du général Manscourt. Les parents « voulant satisfaire aux cris de leur conscience, rendre hommage à la vérité et donner le nom et l’état aux enfants qu’ils ont eu de leur union qui a précédé leur mariage légitime » ont déclaré que :
Philiberte présentée à l’Hôpital général de Dijon le 28 mai 1791 par billet de M. Chartraire et baptisée le même jour …
Françoise Josephine née le 1er octobre 1792 et baptisée le lendemain en la commune de Vedette Républicaine, district de Roc Libre, département des Ardennes sous le nom de fille de Joseph Ducros absent, et de Marie Claude Combette porteuse de l’enfant …
sont leurs véritables enfants qu’ils ont eu avant leur mariage ; que ce n’est que l’effet d’une fausse honte qui les a déterminés à les faire baptiser sous le nom de père et mère inconnus ou empruntés, d’une manière néanmoins à les reconnaître sans équivoque et à pouvoir les reprendre sous leur puissance paternelle et maternelle aussitôt que les circonstances le leur permettront comme ils l’ont fait, que même lors de leur mariage ils les avaient déjà sous leur pouvoir et en leur domicile en cette commune …
D’autres enfants naîtront à Auxonne
Félicitée Hyacinthe Soulange née le 22 Floréal An 4 (10 mai 1796)
Jeanne Marie née le 11messidor an 5 (29 juin 1797) (meurt l’année suivante)
Joseph François Xavier Catherine né le 20 Brumaire an 11 (11 novembre 1802)
Après plusieurs mois de campagne en Belgique et en Hollande, le général Manscourt apprend qu’il n’est pas compris dans l‘ organisation des états-majors du 13 juin 1795 et accepte de rétrograder, car il veut rester dans l’artillerie. Il est chargé de l’inspection des forges de la Moselle en 1795. Quand la loi du 7 octobre 1795 lui permet de retrouver ses fonctions d’officier général, il informe le ministre que sa situation ne lui permet pas de les accepter, « il a perdu tout son bien et à la suite de ses disgrâces successives il s’est vu dans l’obligation de vendre ses équipages à vils prix. Tout ce qu’il désire c’est de ne pas abandonner sa femme et ses deux enfants et d’avoir une inspection des forges ou une direction d’arsenal ». Il est nommé directeur de l’arsenal d’Auxonne le 17 janvier 1796. Mais sa carrière ne s’arrête pas là, car le 17 décembre suivant il est envoyé à l’armée d’Italie pour commander l’artillerie et retrouve son grade d’officier général, grâce à Bonaparte qui le fait reconnaître comme général de brigade au moment où il va s’embarquer pour l’Egypte. Il commande la place d’Alexandrie sous Kléber ; rapatrié d’Egypte en France en mars 1799, pour des raisons de santé, Manscourt est fait prisonnier en mer par l’ennemi et emmené en captivité au royaume de Naples avec deux compatriotes, le Général Dumas et le minéralogiste de Dolomieu.
Alexandre Dumas raconte longuement cet épisode dans ses mémoires : son père décide de partir d’Alexandrie pour la France à bord de la « Belle Maltaise », voilier rapide affrété par lui au capitaine Félix, avec seulement 10 canons ; il offre le passage au général d’artillerie de Manscourt du Rozoy (1749-1824) et à Déodat de Grater de Dolomieu (1715-1801, minéralogiste qui donna son nom à la dolomie, roche sédimentaire), mais il est fait prisonnier de guerre à Tarente où il avait relâché pour cause de tempête « avec des creux de 10 mètres », fin mars 1799 . Emprisonné à Brindisi, puis à Messine, où on tente de l’empoisonner avec des biscuits trempés dans du vin, il sera remis en liberté le 5 avril 1801 avec ses deux compatriotes, Dolomieu et Manscourt.
A son retour en France, Manscourt est admis à la retraite le 1er septembre 1802. Il s’installe à Auxonne rue du Chénois. Sa femme Pierre Chavant meurt en 1820 et le général Manscourt en 1824.
Martine SPERANZA
Prise d'Alexandrie 1er juillet 1798 - in Histoire populaire de la France T. 4 - Ch. Lahure
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Sources :
Chuquet Arthur La jeunesse de Napoléon, Paris 1898 T. 1 -
Archives départementales diverses pour l'état-civil et les sites Geneanet et Cercle généalogique de la Côte-d'Or pour des recherches généalogiques supplémentaires.
Mots-clés : Napoléon Bonaparte, Napoléon 1er, Révolution française (1789-1799), loi sur le divorce 1792, Royal-Artillerie, Auxonne, vie de garnison